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Lutte contre la corruption au Togo : La conservation du pouvoir à tout prix, le premier handicap

« Si Faure décide d’emprisonner les pilleurs de fonds publics, il n’y aura aucun militant à la prochaine réunion d’UNIR »

En créant l’Union pour la République (UNIR) sur les cendres du RPT (Rassemblement du peuple togolais), Faure Gnassingbé avait l’intention de rompre avec les anciennes pratiques et le cordon ombilical que le liait au parti de son père. Mais la volonté de s’accrocher au pouvoir a fait que le vent de changement tant clamé a pris des coups. Son nouveau parti est devenu un lieu de refuge ou de recyclage des personnes impliquées dans le faux, le détournement, brefs les crimes de tous genres. Ainsi, le chef de parti ne peut pas sanctionner ses militants qui l’aident à battre le record de longévité au pouvoir en Afrique de l’Ouest.

« Les détournements de fonds publics sont consubstantiels à la conservation du pouvoir au Togo. Si Faure décide d’emprisonner les pilleurs de fonds publics, il n’y aura aucun militant à la prochaine réunion d’UNIR », disait l’économiste et président de l’Association Veille économique, Thomas Dodji Koumou, en novembre 2018 sur les ondes de la Radio Victoire FM. Un constat juste ! Le parti présidentiel est une tanière pour tous ceux qui sont présumés coupables de crimes et scandales économiques, d’enrichissement illicite, de faux et usage de faux. L’essentiel c’est de participer constamment à l’« effort de guerre » qui consiste à mettre le « bien mal acquis » au service de la conservation du pouvoir. A chaque joute électorale, tous ces magouilleurs de la République se muent en militants de première heure d’UNIR et écument les rues pour battre campagne.

« Généralement à la veille de chaque compétition électorale, une liste est ouverte à la trésorerie du parti pour les contributions dites officielles. Hommes d’affaires et directeurs de sociétés, qu’ils soient Togolais ou étrangers, viennent donner leur part. En plus de l’argent, certains offrent des gadgets et parfois du matériel roulant. D’autres financent des activités parallèles dans le cadre de la campagne électorale », explique un baron du RPT-UNIR.

Les moins tatillons descendent carrément sur le terrain pour mouiller le T-shirt aux couleurs bleues. « Il y a le cas Charles Gafan et tout ce qu’il a fait lors de la présidentielle de février 2020, se souvient-il. Comment le directeur d’une multinationale comme Bolloré puisse prendre ses aises et s’afficher publiquement avec un parti alors qu’il y avait d’autres candidats en course ? S’il le fait souvent et n’est jamais rappelé à l’ordre, c’est qu’il a le soutien de son patron Vincent Bolloré. Donc le groupe pense que ses intérêts ne peuvent être sauvegardés que sous Faure Gnassingbé et n’a que faire de l’opposition. Ça dit beaucoup de choses », a-t-il poursuivi.

En dehors des contributions des sociétés – la plupart étant des sociétés écrans – dans lesquelles les pontes du régime détiennent des actions, les cadres de l’administration prennent une part active dans la conservation du pouvoir. Détourneurs invétérés des deniers publics, as de faux et usage de faux, leaders de montages financiers de tous genres et retraités jouant aux prolongations mobilisent leurs « moyens personnels » pour aller battre campagne dans leur localité respective.

« Il y a une sorte de maillage du territoire. Tous les cadres, du planton aux ministres, envahissent les contrées pour vendre UNIR à leurs frères et sœurs, poursuit-il. Chacun se bat à son niveau pour ramener dans la corbeille présidentielle quelques voix qui sont synonymes de maintien au poste, de promotion, de sanctification des fonds détournés ou de protection après le mal. Il y a une femme qui s’était rendue coupable de faux et usage de faux et de détournement lorsqu’elle travaillait dans une banque de la place. Depuis la création d’UNIR, elle s’est sanctifiée, a gravi les échelons, travaillé à la présidence, siégé à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et est aujourd’hui maire d’une ville à l’intérieur du pays ».

L’autre trouvaille, c’est le recyclage de certains ministres et directeurs de société décriés pour leur gestion scandaleuse. Limogés de manière bruyante, mais sans explications, ils sont soit dirigés vers la présidence où ils sont nommés conseillers spéciaux, soit élus députés à l’Assemblée nationale. Après quelques années d’hibernation, on les revoit au-devant de la scène avec un poste ministériel. Qui peut imaginer dans ce pays qu’un certain Payadowa Boukpessi, ministre sans interruption de 1991 à 2007 et remercié pour mauvaise gestion au ministère des Finances, ait pu revenir aux affaires depuis 2015 ? Qui peut comprendre que Me Tchalim Tchitchao, impliqué dans le chaos de l’Union togolaise de banque (UTB), puisse se faire élire député sur la liste UNIR et siéger désormais à l’Assemblée nationale et de surcroît président de la Commission des lois constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration générale ? Que dire d’Ably Bidamon, ex-DG de Togocellulaire et ensuite de la Douane, qui, après une pause de digestion, dirige depuis 2015 le très juteux ministère des Mines et de l’Energie ? Comment se fait-il que Mme Bernadette Légzim-Baloulki siège aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour le compte d’UNIR nonobstant tout ce qui s’est passé au ministère du Commerce ? Soit dit en passant, elle serait très liée à la famille Adjakly éclaboussée par le « pétrolegate ».

En attendant de rebondir, Adji Otèth Ayassor, mouillé dans beaucoup de dossiers sombres dont la route Lomé-Vogan-Anfoin, se la coule douce à la tête de la Société africaine des biocarburants et des énergies renouvelables (SABER). Quant à son alter ego Ninsao Gnofam qui avait « blagué » les députés togolais en jouant au comptable de la société CECO-BTP, il se fait discret pour surgir au bon moment. « Faure Gnassingbé ne fait pas confiance à beaucoup de personnes. Il ne peut se débarrasser de certains qu’à leur mort. Surtout ceux qui ont beaucoup servi dans les deals », relève un jeune cadre d’UNIR.

En outre, la plupart des pilleurs ont des parrains qui sont dans l’entourage immédiat du chef de l’Etat. Ces mentors ont souvent voix au chapitre et arrivent à protéger leurs « gars » comme ils le disent. « Un monsieur comme Kossi Aboka, épinglé par la Cour des comptes pour ses nombreuses magouilles à la délégation spéciale du Golfe, ne peut jamais être inquiété, ajoute ce jeune cadre. Comme les autres, il sait donner. Il en est de même pour ceux qui ont détourné les fonds de la CAN 2013 dont le rapport n’est jamais rendu public et ceux de la CAN 2017. Tous ces gens vont jusqu’à construire à leurs protecteurs des maisons ou fermes agricoles ».

Quand Adjakly-gate a éclaté, un internaute a écrit qu’il suffisait que la famille Adjakly et ses complices du ministère du Commerce jusqu’à la Primature brandissent les preuves de leur participation à la dernière campagne électorale pour se voir blanchir. Et les faits semblent lui donner raison. Au lieu que toutes les institutions juridico-politiques et de lutte contre la corruption du pays se saisissent de cette affaire, c’est plutôt le confrère « L’Alternative » qui est poursuivi devant les tribunaux pour diffamation.

Pour tout dire, le scandale de l’importation du pétrole ne date pas d’aujourd’hui. L’ex-Premier ministre Arthème Ahoomey-Zunu en avait un peu parlé au cours d’un entretien avec des journalistes, quelques jours après sa démission. Il répondait à une question sur la pression du projet d’éducation civique dans les médias : « Lorsque je suis arrivé, il y avait des fonds à la Primature qui permettait de vous donner de l’argent pour faire du civisme. Lorsqu’en fin juillet, on devait payer et qu’on me faisait le point, il n’y avait que 89 000 francs dans le compte. Lorsque j’ai cherché à savoir d’où venait cet argent, on me dit que ce compte était alimenté par le ministère du Commerce d’où je venais et sans que je ne sache. Les prélèvements étaient faits sur les fonds du comité pétrolier et sur les fonds sociaux pour réaliser cette opération. Ce compte s’appelait Initiative du premier ministre. J’ai dû vous payer pendant trois mois sur mes propres fonds politiques, mais j’ai compris qu’on ne pouvait pas continuer ». Mais depuis là, personne au sein de l’exécutif n’a cherché à percer le mystère.

« Au moment où s’annonce la reprise économique, nous ne pouvons permettre que nos efforts de bonne gestion soient contrecarrés par certains de nos compatriotes qui sont habités par l’avidité, l’esprit du lucre, les ambitions démesurées. Plus que jamais, il nous faut tourner la page des pratiques d’un autre temps », avertissait Faure Gnassingbé dans un discours lu par le Premier ministre Komla Mally au lancement des travaux de l’atelier sur la mise en œuvre de la convention des Nations Unies contre la corruption le lundi 09 juin 2008 à Lomé (le chef de l’Etat lui-même à New York). Mais des vœux pieux donc ! Pire, le Togo est devenu la Sicile tropicale où les pilleurs ont pignon sur rue.

G. A.

Source : Liberté N°3193 du Mardi 21 Juillet 2020

 

 

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